Entretien Luiz Gonzaga
Belluzzo de Mello, économiste et analyste politique.
Organisé à Paris par Marilza Foucher Melo
Vous êtes l'un des économistes brésiliens qui est à même
d'interpréter les questions économiques du
point de vue marxiste et keynésien en tenant compte de la complexité de
la mondialisation économique.
Serait-il possible dans l'état actuel de la
mondialisation économique de réinventer un plan de réorganisation du
capitalisme keynésien?
Je pense que la crise actuelle a une dimension qui correspond à la
proposition de Keynes qui consiste à reprendre possession des biens. En effet,
selon lui, tout part de la « demande effective », une demande
anticipée que conduit les entrepreneurs à embaucher et à produire.
L'économie capitaliste a
tendance à travailler systématiquement en dessous du plein emploi. Ce système
ne génère pas spontanément le plein emploi, il ne dispose d'aucun mécanisme pour
répondre à la masse des travailleurs qui veulent un emploi. Autrement dit,
l'inefficacité du système capitaliste à employer tous ceux qui veulent
travailler. Cette question là ne se résorbera pas par le jeu des mécanismes
classiques du marché. Nous avons ici une vision très réduite de ce que Keynes a traité. Pour savoir
exactement ce que Keynes pensait, je dis toujours à mes étudiants, qu’ils
doivent lire la Théorie Générale à
l'envers, ils doivent commencer par le dernier chapitre, c'est-à-dire par la
philosophie sociale qui conduit à la théorie générale de l'emploi, des intérêts
et de la monnaie. Il y a là une vision plus structurelle du capitalisme, la
discussion sur les questions de la « demande affective », le besoin
de coordination des dépenses capitalistes. Les enseignements de Keynes ne
s’arrêtent pas aux politiques conjoncturelles il va au-delà de ces questions. En cela, il montre que son
réformisme est bien plus radical que ses
disciples peuvent admettre.
Je soulève ici les
quatre points que Keynes aborde à la fin de son livre :
1. La socialisation des
Investissements
2. Un système d'impôt progressif
3. « L’euthanasie
du rentier » (avoir un contrôle du crédit public de la monnaie)
4. La coordination des
économies nationales.
Quand il traite de la
socialisation de l'investissement, Keynes explique que l'Etat doit toujours
être présent pour coordonner les relations entre l'investissement public et
privé, pour amortir les tendances à instabilité de l'investissement privé. Le
"budget d'investissement" gouvernemental devrait être administré de
manière à réduire les incertitudes qui contaminent l'investissement privé.
Keynes a une approche
très particulière dans la mesure où il
intègre l’existence d’un monde caractérisé par une incertitude radicale dans
laquelle les mécanismes psychologiques sont essentiels. Par exemple, les
entrepreneurs décident d’un nouvel investissement en capital : construire
une nouvelle usine. Cependant, ils sont
toujours sujets à l'incertitude, à la peur de l'avenir. Ainsi, la peur de
l'avenir doit être atténuée par action de l'Etat. Cela leur ouvre un horizon
plus sûr qui leur permet d'investir. La socialisation de l'investissement est
le meilleur remède contre la socialisation des moyens de production, l'État est
un instrument de convergence des attentes. L’investissement social keynésien va
venir en aide à l’investissement privé pour maintenir la stabilité économique.
Aujourd’hui, face à un Etat affaibli, comment un plan
keynésien serait en mesure de réorganiser le capitalisme?
Nous discuterons de cela
plus tard ... Quand il s'agit de la question de l'Etat, Keynes se réfère à son
époque, avec l'existence d'un corps intermédiaire capable de servir de
médiateur entre l'État et la société. Un Etat avec sa bureaucratie, doué d’une
grande rationalité dans la capacité de gestion. Il est nécessaire que l'État et
ses organismes intermédiaires aient un rôle inducteur et régulateur. Tout cela
doit être mis dans le contexte de l’époque dans laquelle Keynes a vécu. Il
avait une grande confiance dans la capacité de l'Etat. L'État est en mesure de
voir au-delà des intérêts privés. Un peu
libéral et régalien, l'État est en mesure de représenter la Raison.
Keynes avait horreur de
l'individualisme, il a déclaré qu'il ya toujours un espace pour un certain
individualisme, ce sentiment qui anime l'individu dans l'économie capitaliste.
Il méprisait «l'amour de l'argent",
même si c’était un facteur de progrès et
de changement social, cependant, «l'amour de l'argent » peut devenir un
supplice pour l'homme moderne. Dans le livre «Perspectives économiques pour nos
petits-enfants» Keynes a écrit que les hommes doivent revenir aux valeurs
fondamentales de la religion, de l’art de vivre, du savoir vivre ensemble.
C'est un très beau texte. Il y avait une vision éthique derrière cela.
Il y avait aussi une
conception libérale de l'Etat dans son origine, Keynes n'était pas en mesure de voir la
transformation que l'Etat allait connaître dans la société de masse, dans
laquelle l'indépendance de l'Etat par rapport à la société finira par être
ébranlée.
Concernant l'imposition
progressive, vous m’avez interrogé sur l’éclatement du rôle de l’état, presque
tous les systèmes tributaires ont abandonné l'impôt progressif. Selon Keynes
les impôts doivent jouer un rôle plus important dans le système de
réglementation de l’Etat. Aujourd’hui les impôts pèsent plus sur les salariés,
la tentative de conserver un impôt sur la fortune, sur le patrimoine tout cela
a été détruit par le mouvement du capitalisme.
Le deuxième pilier de la
proposition keynésienne porte sur l'euthanasie du «rentier».
Keynes explique qu’avec le
système bancaire moderne qui est très intégré et développé il n’y a pas de raison
que le capital soit considéré comme rare. Dans cette idée de la rareté, Keynes
dit que quand Ricardo a abordé la question de la rente différentielle il
parlait de la terre. Dans la mesure où la terre est occupée, on chemine vers
une rareté. Dans ce cas, il y aurait une raison de penser à une rente découlant
de la rareté. Or, dans le cas du capital, non, à cause du système moderne
bancaire, il crée la monnaie et crée la liquidité par la suite. Ainsi, Keynes a
dit : vous pouvez avoir des problèmes de dépense, de difficulté de
financement des investissements en raison de la résistance des banques à créer
des liquidités, maintenant vous ne pouvez pas avoir de problèmes d'investissement,
car il n'y a pas d'épargne.
L'existence de banques
modernes a surmonté cet obstacle propre à l’économie naturelle. Dans une
économie naturelle, par exemple, qui ne fonctionne qu'avec du blé, vous avez
besoin de réserver une partie de la récolte pour ensemencer l'année suivante.
C'est l’épargne, vous ne pouvez pas tout consommer.
Or, dans une économie
monétaire avec un système bancaire qui crée des devises, il ya une élasticité
de ce système pour créer les conditions permettant aux entreprises d'investir.
La dégradation de la conjoncture économique peut inciter les entreprises à
diminuer leurs investissements dans de nouveaux équipements et de nouvelles
usines, avec comme conséquence de faire baisser l'ensemble des
dépenses. Ainsi, Keynes a proposé une
gestion public du système bancaire afin de rendre réelle cette
nature du capital monétaire.
Keynes comme Marx voit
le capitalisme déboucher sur un effondrement pour des raisons endogènes au
système. Ils ont une vision très semblable à propos de l'ontologie de
l'économie.
Dans quel sens?
Ils voient le
capitalisme avec la même structure. Ainsi, Keynes affirme que vous pouvez
définir l'économie capitaliste comme l’existence d'un côté des entreprises qui
ont le contrôle des moyens de production et de l'argent et de l’autre les
travailleurs qui sont obligés de vendre leur force de travail. C’est présent dans le volume 29 qui précède la théorie
générale. Il a abordé le capitalisme de cette manière, ces informations se
trouvent dans les manuscrits qui ont été découverts plus tard.
Les capitalistes ne
dépensent pas dans le but de maximiser
la production, ils dépensent avec la finalité de maximiser leurs gains, le
profit monétaire. Le traitement que Marx et Keynes donnent à la structure du
capital sera la clé de la compréhension de l'évolution du capitalisme. Revenant
à la question de la crise actuelle, Marx a écrit des pages très importantes que Keynes n’a pas écrites, sur le progrès technique et la dépréciation
du capital et du travail.
Marx va alors beaucoup
plus loin que Keynes. Même si Keynes a une vision que pour assurer l’impulsion
du capitalisme à dévaloriser le capital,
il a besoin de contrôler la concurrence afin qu’elle ne soit pas dévastatrice. Il s'agit là d'une vision très conservatrice,
c’est pourquoi il pense qu'il est possible de conserver un capitalisme
fonctionnant plus ou moins à la condition que j'ai décrite à propos de la
socialisation de l'investissement, le système d'impôt progressif, l'euthanasie du
rentier. Keynes a défendu pour le
quatrième point le besoin d’une
coordination des économies nationales et souligne alors le besoin d’un ordre
économique mondial.
Il propose la
construction d'institutions internationales publics qui permet l’ajustement
sans traumatisme du taux de change et monétaire, des déficits et les excédents
monétaires de la balance des paiements. Cela faciliterait le crédit vers les
pays déficitaires en pénalisant les pays excédentaires. Le but de Keynes était
d'éviter les ajustements déflationnistes et maintenir les économies sur la voie
du plein emploi.
Plus tard, à Bretton
Woods, Keynes a proposé la
Clearing Union , une sorte de Banque Centrale des banques
centrales. Elle émettrait une monnaie supranationale bancaire, le
"bancor", qui serait consacré exclusivement à liquider des positions
entre les banques centrales. Le contrôle du capital devrait être «une
caractéristique permanente du nouvel ordre mondial."
M. Belluzzo, face à la réalité d'aujourd'hui par rapport au
rôle du FMI, pardon de revenir à ma première question, mais comment expliquer
l’actualité du plan Keynes dans le contexte de la mondialisation économique?
Le plan Keynes n'a
jamais été aussi vrai et actuel, mais sa mise en œuvre n'a jamais été aussi
difficile.
Je suis donc curieuse de savoir comment, pourquoi?
Cela aurait une
incidence grave qui a à voir avec le pouvoir politique des nations. Avoir le
contrôle des réserves en devises donne certains avantages, comme Lula l’a déclaré lors du séminaire organisé
par La fondation Jean Jaurès et l’Institut
Lula. De Gaulle a également dénoncé ce privilège, exorbitant. Il se méfiait de
la puissance américaine, qu’il connaissait très bien. Le contrôle de la réserve
monétaire a facilité le développement des entreprises américaines, ainsi que les
investissements externes. Les États-Unis n'ont pas de problème avec la dette
publique, contrairement à ce que pensent les républicains Américains. Ils
peuvent la refinancer avec une grande facilité, en utilisant les mouvements de
capitaux du reste du monde vers les États-Unis. Ce point est important pour
comprendre les enjeux de cette crise. Aujourd’hui avec un taux d'intérêt sur
dix ans, un titre du trésor en dix ans est maintenant à 1,32 ce qui est très
faible. C’est une invitation à la dette afin de dépenser. Mais les républicains
américains sont maintenant obsédés par la dette.
Mais revenons au plan Keynes ...
Keynes n'a jamais été
aussi clairvoyant dans son analyse et ses propositions, il a juste voulu éviter
ces déséquilibres chroniques entre la balance des paiements des pays, mais cela
n’a jamais été aussi difficile parce que
les conditions politiques d'une réforme n’existent pas. Elles ont existé à l’issu
de la seconde guerre mondiale où, pour différentes raisons, le système
monétaire international était détruit et
devait être reconstruit dans sa totalité.
Les Etats-Unis sont sortis de la guerre dans les meilleures conditions, avec
leurs industries, leurs entreprises et
leur appareil productif préservés. Ils avaient l'expérience du «New Deal",
ils ont eu cette vision réformiste, ce sont eux qui ont proposé de créer l'ONU,
les institutions de Bretton Woods, les organisations multilatérales. Bien sûr,
quand il s'est agi de définir ce que seraient la Banque mondiale et le Fond
Monétaire, ils ont obtenu l’assurance de leur supériorité. Les Etats-Unis
resteront au cœur du système. Ils ont été généreux, ils ont aidé à la
reconstruction de l'Europe, avec les mécanismes de soutien qu'ils ont créés. Ce
geste de générosité n'est pas fortuit face à la guerre froide menée contre la
présence du bloc soviétique. Ici en
Europe, il ya eu une confrontation politique entre les deux conceptions. La
construction de l'État-providence en Europe a beaucoup à voir avec la présence
de l'Union soviétique, avec la crainte de l'expansionnisme soviétique.
Je pense qu'aujourd'hui
toutes les réformes proposées passent par les prémisses annoncés par Keynes et,
pour cette raison, il n'a jamais été aussi actuel, car il n'y a pas d'autre
moyen de remédier à ce déséquilibre.
Dans le séminaire
international il n’y a eu que Lula et
moi-même pour faire émerger cette question, les autres participants n’ont pas abordé la question de la
coordination internationale. En effet l'erreur consiste à supposer que les
politiques de compétitivité font parti d’un espace commun qui converge vers un équilibre.
La concurrence internationale est génératrice de déséquilibre. Il suffit de
regarder la Chine
ou l'Allemagne par rapport à l’Europe. Dans le cas de la Chine quand elle a fait des
réformes, elle a ouvert son espace territorial à l'investissement étranger, elle
a fourni une main d’œuvre bon marché
permettant une concurrence, par le prix, des sociétés aux États-Unis et en
Europe. À propos, qui est allé en Chine? Les grandes entreprises américaines,
européennes et japonaises. Elles ont créé là leur espace de concurrence. Qu'est-il arrivé? Un chômage de
plus en plus important tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Alors vous avez le
phénomène suivant aujourd'hui : le système d'affaire américain va très
bien, c'est vrai aussi pour certaines entreprises européennes. Mais l'espace
territorial de l'économie, l'espace territorial de la coexistence, où les gens
travaillent, habitent, où ils étudient, ont des loisirs, etc, est de plus en
plus menacé par des réductions : dans le domaine des droits, des salaires,
la baisse du niveau de vie, etc. C’est pour cela que les propositions de Keynes
continuent d’être d’actualité ; cependant, elles n'ont jamais été aussi impossibles
à mettre en œuvre. Les Etats-Unis ne veulent pas savoir. Maintenant, les
Américains vont devoir faire face à ces questions. Parce que s’ils gardent ce
système monétaire international, ce n'est pas parce que le dollar est faible, le dollar est
fort ! Alors que les Chinois vont continuer à thésauriser et au lieu de 3
trillions de dollars de réserves ils vont ramasser 5 trillions! Cela est
mauvais pour le commerce international et au même temps est très grave parce
que les Chinois vont en quelque sorte exercer ce pouvoir, comme le Brésil, qui
dispose désormais d'une réserve de 370 milliards de dollars et cette réserve va continuer d’augmenter.
Que pensez-vous de la proposition des deux présidents du
Brésil et de la France sur la mise en place d'un conseil de sécurité économique
et sociale, à l'instar du Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU). Il y a
déjà le Conseil économique et social des Nations Unies, cependant, il n'a pas
de grands pouvoirs ... Il semble que ni Lula, ni Jospin ont montré beaucoup
d'enthousiasme ...
Je pense que Lula est en
accord avec les résolutions du G20 mais
aucune n'a été mise en œuvre. Pourquoi? Parce que quand vous voyez les obstacles
comme je l'ai mentionné à la question sur la gestion de la monnaie de réserve,
les Etats-Unis devront en discuter, il n’y a d’autre moyen. Les Etats-Unis
avaient 40% de la production mondiale, aujourd'hui un peu plus de 20%. L'Union
européenne a également perdu du terrain avec la montée des pays émergents. Ils
devront revoir la question de la réforme du système monétaire. Par exemple, le
Brésil est en train déjà d’organiser la création d'un fond de stabilité pour
l’Amérique Latine. D’autres fonds régionaux vont émerger. Le Brésil, avec le
« pré-sel » aura un fond souverain et c'est une arme incroyable pour
le Brésil s’il est bien utilisé. Toutefois,
cela ne résoudra pas le problème du déséquilibre, ni de l'emploi. L'idée, par
exemple, du président Obama de déclarer que les Etats-Unis devront relocaliser les entreprises américaines en
leur donnant une plus grande automatisation robotique supérieures, obéit à la
logique.
Alors, Professeur Belluzzo comment serait cette nouvelle
gouvernance mondiale?
Eh bien, la nouvelle
gouvernance mondiale devra aller dans la direction de Keynes. Il est nécessaire
de restreindre quelque peu cette compétition, on doit établir d’autres règles
pour le commerce international, une meilleure coordination
du commerce qui ne peut pas être satisfaite par les règles actuelles de
l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Ces règles stipulent le
libre-échange et cela n'est pas possible, il n'y a pas de compétitivité entre
les pays mais entre les entreprises. Si vous acceptez ces règles, vous devez
accepter les mouvements des entreprises à l’extérieur. L'abandon de l'économie
territoriale laisse la place aux conflits dans le territoire. C'est la logique
abstraite de l'économie qui est le problème du capitalisme. Considéré sous un
certain angle, il est suffisant, mais comment expliquer qu'il y a une abondance
de capacité de production pour satisfaire les besoins fondamentaux de la
population, mais qu’il existe également une incapacité à générer l’égalité, etc
Cela ne peut être fait que par l'intervention publique.
Honnêtement, j'ai été
très impressionné par les propositions du gouvernement socialiste françaises,
propositions qui sont franchement insuffisantes pour répondre à la gravité de
la situation actuelle et de ce qui est à venir. Adopter des politiques de compétitivité et d'austérité sont inefficaces
et vont sacrifier de nouveau la population.
Il ya une certaine contradiction entre le discours de la
compétitivité et la création de la Banque européenne
d'investissement qui n'a toujours pas vu le jour ...
L'idée d'avoir une
banque de développement comme au Brésil est très bonne. BNDS est aujourd'hui la
plus grande du monde. Peut-être est-ce la meilleure réponse à la crise
territoriale que vit actuellement la
France ...
La présidente Dilma est apparue comme un défenseur
acharné de l'Union européenne et de l’Euro en disant que sa création était la
plus grande construction politique mondiale. Toutefois, pour les citoyens
français, l'Europe politique n'a pas
encore été construite. Ils ont voté non au traité de Lisbonne ... Quelles sont
vos suggestions pour la sortie de la crise européenne? Et pourquoi le
renforcement de l'Union européenne est si important pour le Brésil?
Je suis avec attention
cette crise européenne, y compris la question du débat sur l'Union Bancaire.
Je pense que l’Allemagne
pourrait conduire la ré-articulation et le réarrangement politique de l'Europe,
mais elle ne le fait pas, parce que ce pays marche en direction opposée et la
France est dans une position légèrement subordonnée. Il s'agit d'une situation
très difficile, parce que l’Allemagne a des blocages historiques et
idéologiques. L’Allemagne est en train de jouer selon ses propres intérêts. Son attitude est très
différente de ce que les États-Unis ont fait après guerre. L'Allemagne a cette caractéristique
de se considérer un peu au-dessus, ce sentiment de supériorité ne s’efface pas
facilement. C’est une tache qui ne part pas facilement. Aujourd'hui, il ya une
résistance en Allemagne à rompre avec la
politique d'austérité en Europe. Le peuple allemand est convaincu de sa
capacité à se sacrifier et souffrir, il n’est pas prêt à sacrifier à ses principes
pour les pays dépensiers, tels les Européens du Sud, nous avons ici un blocage
sérieux.
L'Allemagne a aussi
cette caractéristique que Weber a perçu quand il a déclaré que le peuple
allemand avait le vice de l'obéissance : ils sont obéissants en même temps
qu'ils se sentent supérieurs. Ils se soumettent en fait à l’Etat et ont un très
rude rapport avec le reste de l'Europe.
Donc, je pense que
l'Union européenne pourrait être reconstruite si elle voulait se donner un peu
plus de liberté en donnant plus de souffle par une plus grande unité entre les
pays membres, par exemple si elle adoptait un mécanisme de compensation fiscale.
Il est absurde que ces pays aient des déficits avec une monnaie commune. Il
faut une coordination au sein de l'Euro qui intègre différentes stratégies.
La prime de risque
vis-à-vis du Bund allemand (l'écart entre les taux des obligations à 10 ans
allemands et espagnoles) a également atteint un nouveau record historique à 640
points. Pour joindre la disgrâce à
l’infortune, la panique bancaire et la fuite des capitaux sont arrivées
dans la péninsule ibérique, menaçant la solvabilité des institutions grande,
moyenne et petite.
L'effondrement de la
confiance ne peut pas être géré sans la centralisation des décisions de l'autorité
monétaire chargé de veiller à la salubrité de la relation entre les banques et
donc la "normalité" des crédits, des prêts. Vous m'excuserez mais il
s'agit d'une stupidité incroyable. Comment penser qu'une monnaie commune puisse
fonctionner de cette façon ? Je vois cela dans le court et moyen terme
avec beaucoup de pessimisme.
Il est probable que la
crise n’aurait pas atteinte de tels
sommets si les autorités européennes avaient accepté l'inévitabilité d'une
restructuration ordonnée de la dette et du contrôle public du système bancaire.
Elles auraient ainsi atténué les difficultés de la récession en bloquant la
progression contagieuse de la crise financière. Il s'agit d'un cas de
psychiatrie politique: l’option mesquine de faire petit et lentement, trop peu, trop tard, est devenu
une sorte de réponse trop écrasante pour toujours.
Paris décembre 2012
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