Conférence-Débat
à Nanterre- Hommage à Salvador Allende
Dictature
plus jamais !
Marilza de Melo Foucher
La dictature au Brésil : Comment
s’elle-imposée ?
Tout
d’abord de mon point de vue le coup
d’état au Brésil n’a pas été seulement militaire, il a aussi été civil. À
l'époque, la société brésilienne est devenue profondément polarisée, en raison
de la crainte de voir le Brésil rejoindre Cuba dans le bloc communiste en Amérique latine sous la Présidence de Joao
Goulart. Des hommes politiques influents, les magnats des grands médias,
l'Église catholique, les grands propriétaires fonciers, les hommes d'affaires
ont exigé une "contre-révolution" par les forces armées pour
renverser le gouvernement.
La
société était polarisée entre deux
modèles de développement : L’un basé sur la création d’une industrie
nationale, prônant une plus grande indépendance par rapport au capital international. Ce modèle visait aussi
à un aménagement régional et à impulser
des réformes structurelles, réforme agraire, réforme du système
d’éducation, entre autres. L’autre modèle défendu par les secteurs
conservateurs de la société prônait un développement économique lié aux
entreprises nationale et multinationale, une agriculture intensive tournée vers
l’exportation. Ce modèle préconisait une plus grande liaison avec les capitaux
étrangers, et les grands propriétaires terriens. Le choc de ces deux visions s’inscrivait
dans le contexte géopolitique mondial
dominé par la guerre froide.
Avec
le soutien des États-Unis les forces conservatrices vont organiser de grandes manifestations
populaires qui vont appeler ouvertement à une intervention militaire. La
doctrine de la sécurité nationale était alors le pilier pour combattre la
menace communiste.
Les
militaires brésiliens n’aimaient pas l’utilisation du mot dictature, et ce sera
à travers une immense propagande de tous les moyens de communication,
principalement avec l’appui du réseau de télévision Globo, qu’ils vont réussir
à forger une image positive du coup d’État auprès de l’opinion publique
brésilienne. Le propriétaire du réseau « rede Globo » Roberto Marinho
déclarait :
« Nous
avons participé à la
Révolution de 1964, nous nous sommes identifiés aux
aspirations nationales de préservation des institutions démocratiques menacées
par la radicalisation idéologique, les grèves, les troubles sociaux et la
corruption généralisée. Quand notre rédaction a été envahie par les forces
antirévolutionnaires, nous sommes restés fermes dans notre position. Nous
continuons à soutenir le mouvement victorieux dès les premiers instants de la
prise du pouvoir jusqu’au processus d'ouverture en cours, qui devrait se
consolider avec la nomination du nouveau président. » (1).
Voilà
comment la dictature entre dans l’imaginaire du peuple brésilien comme une
sorte de pseudo-démocratie salvatrice de la patrie ! Jusqu’à aujourd’hui
une bonne partie des forces armées crient au scandale dès que l’on parle de la
dictature. Ils comptent toujours avec l’appui des secteurs conservateurs, de
segments de la droite et de la grande presse qui fêtent le 31 mars 1964 comme
la date la « glorieuse révolution ».
Ils
font tout pour essayer d’effacer ce passé et faire oublier cette période sombre
de l’histoire politique brésilienne au nom, selon eux, de l’harmonie nationale.
Quelles formes de résistance ont été mise en
place à l’époque et comment ont-elles
marqué la société brésilienne ?
L’absence
de démocratie n’a pas empêché l’organisation de la résistance. Le sens de la
résistance au Brésil est très large et les stratégies sont très différentes.
Elle va des petits groupes armés proche de la révolution cubaine et d’autres
qui questionnaient les orientations des partis communistes alignés sur l’Union
des Républiques Socialistes Soviétiques. Il a eu aussi des organisations de
droits de l'homme, des groupes organisés au sein de l'église catholique, liés à
ce que l'on appelle la
Théologie de la
Libération , des pastorales, des organisations communautaires,
des groupes de défense de la citoyenneté, des groupes de femmes, des organisations
d’éducation populaire. Sans compter la participation active de beaucoup
d’artistes, des cinéastes, des journalistes, des intellectuels, des chanteurs. Ce
terrorisme culturel n’a pas empêché la résistance artistique de braver la
censure en utilisant des métaphores et des messages déguisés. La musique et le
théâtre ont eu une incroyable production dans les années de plomb. Les artistes
ont réussi à contourner la censure mais n’ont pas pu rester dans leur pays, la
dictature a expulsé et forcé plusieurs artistes à s’exiler. A la fin des années
70, il y a eu un immense appauvrissement culturel. Quant aux journalistes qui
ont défié la dictature, ils ont laissé à la nouvelle génération une
leçon : cela vaut la peine de lutter pour la liberté d’expression !
Que le journalisme de qualité suppose la liberté d'expression et la diversité
des sources, des thèmes et du contenu, afin que la société puisse être informée
de la façon la plus large possible et participer à la vie du pays.
Tous
ses groupes qui furent très importants à cette époque, développent des actions
contre la dictature. La résistance s’organise partout du nord au sud des pays. Toutefois
le processus de démocratisation du pays a été très lent.
Comment les citoyens, les démocrates, les
mouvements sociaux, en lien avec les mouvements de solidarité internationale
ont-ils pu venir à bout de la dictature et participer à l’émergence d’une
nouvelle démocratie ?
Il
faut rendre hommage aux mouvements sociaux, aux organisations populaires qui
ont beaucoup contribué au processus de démocratisation au Brésil. Sous la
protection des secteurs les plus progressistes des Églises (catholique et
protestante) et avec l’appui de la solidarité internationale, ces organisations
sociales poursuivent leur travail d’éducation et de culture. Ces mouvements
vont rejeter la version officielle de la pseudo-démocratie. A travers
l’éducation populaire, les adeptes de Paulo Freire ont développé une
méthodologie de la résistance dans les coins perdus de cet immense territoire. Malgré
la répression, qui se poursuit pendant toute la période de la
dictature, « la pédagogie de l’opprimé » (Paulo Freire)
continue son œuvre dans la clandestinité, dans les favelas, dans les quartiers
populaires. Avec le souci de se laisser éduquer mutuellement, de socialiser le
savoir-faire de chacun au bénéfice d’un projet collectif de transformation.
Dans les années 80 apparaissent de nouveaux mouvements (le Mouvement des Sans
Terre) et des ONG de développement se restructurent. Dans un premier temps un
peu dispersés, et souvent très fragiles, ils mènent le combat pour la
démocratisation et la formation de la citoyenneté.
Il
faut souligner qu'un des combats les plus significatifs de cette période de
transition démocratique au Brésil a été la proposition pour une nouvelle
Constitution au Brésil, qui fête cette année ses 25 ans. Toutes ces
organisations ont joué un rôle très important car elles ont réussi à mener à
bien une grande mobilisation nationale et ont présenté plus de 3000
propositions issues de la nouvelle société civile qui était en train d’émerger
au Brésil.
La
promulgation de la
Constitution de 1988 sera sans aucun doute une étape
historique pour la démocratisation du pays, elle va élargir les droits
individuels et renforcer la démocratie au Brésil. En 1989, ce seront les
premières élections directes pour la présidence depuis 1960, et pour la
première fois cette génération va exercer sa citoyenneté.
Toutefois,
dans la jeune démocratie brésilienne il faut continuer à se battre pour
imprimer une nouvelle culture démocratique fondée sur la citoyenneté active,
car si la démocratie est tributaire du citoyen, alors la participation
collective et le dialogue sont indispensables.
Quel travail de mémoire et quelle transmission
vis-à-vis des générations actuelle ?
Vous
imaginez qu’il a fallu presque 28 ans (après la « transition
démocratique ») pour que la Commission nationale de la vérité (CNV)
chargée de faire la lumière sur les exactions commises pendant les années
de plomb puisse voir le jour ! Jusqu’à récemment, on ne pouvait pas
évoquer cette période avec les jeunes, comme si la peur avait traversé les
générations. Malheureusement, cette partie de notre histoire politique reste un
tabou.
C’est
une histoire mal racontée dans les manuels scolaires. La jeune génération qui a
vécu sous la dictature et ceux qui sont nés à partir de 1964 vont apprendre que
les principes de base de l'enseignement de l'éducation morale et civique
sont : l'ordre, la sécurité, l'intégration nationale, le culte de la patrie.
Le slogan Brésil était : tu l’aimes ou tu le quittes.
Ces
symboles mettaient en valeur un patriotisme exagéré, étaient destinés à
permettre une fusion de la pensée réactionnaire, conservatrice et catholique.
La
mise en place de la
Commission de la
Vérité va permettre de réunir plusieurs morceaux de
l’histoire vécue par les femmes et les hommes qui ont lutté pour la
démocratisation du Brésil. Ainsi, raconter l'histoire d'une période qui a porté
atteinte à toute forme d’expression culturelle et de liberté d’expression.
Pour
cela, la lutte pour la démocratie au Brésil n’est pas finie et exige toujours
de la vigilance car malheureusement il existe encore au Brésil des nombreux
nostalgiques de ce période.
L’amnistie
concédée par les militaires a été un accord négocié, un accord très ambigu,
puisqu’il supposait un sentiment d’amnistie réciproque. Sous le terme
« amnistie » ont été réunis sur un pied d’égalité victimes et
bourreaux. Cela traduisait le poids des différents secteurs et des classes
sociales dominantes à l’époque où l’état des forces était plutôt favorable aux
défenseurs de la dictature. De telle sorte que toute cette période obscure,
tragique de notre histoire politique est restée un tabou. Il est temps de
construire une mémoire qui s'oppose à la mémoire officielle et de défendre les
valeurs démocratiques.
Toute
cette histoire de la résistance à la dictature militaire au Brésil est restée
reléguée au sous-sol de l'histoire. Une seule vérité s’était imposée à la
jeunesse brésilienne. Le pire a été le silence des institutions brésiliennes,
mais aussi de la société, pendent la post-dictature. Le comportement des
démocrates à ne pas affronter les crimes du passé est choquant, a écrit Edson
Teles dans Politicas do silêncio-A memoria do Brasil pos-ditadura.
Effacer
la mémoire des crimes commis par la dictature, c’est effacer la mémoire des luttes
menées contre elle. Pour cela, les films documentaires jouent un rôle
fondamental, principalement pour la jeunesse brésilienne qui n’a jamais pu
avoir des éléments de réflexion sur cette période.
Certains
films documentaires arrivent pour combler le vide laissé par l’absence d’une
historiographie politique et par l’amnésie imposée par ces années obscures.
Faire connaître la vérité à la société sur les violations des droits de
l’homme, sur les formes de résistance à la dictature est aussi une contribution
à la construction de la mémoire politique.
Effacer
de la mémoire ce passé traumatisant, c'est vouloir empêcher que la société
puisse connaître la vérité sur la violence politique imposée par la dictature.
La génération qui a lutté pour la démocratie au Brésil a été traitée lors de la
dernière campagne présidentielle comme des terroristes.
Le
Brésil est toujours dans un processus de maturité de sa démocratie.
(1) Roberto Marinho, no jornal O Globo, edição n°
1.596, 7 de outubro de 1984.
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