Entretien avec l’avocat et ancien député Luiz Eduardo
Greenhalgh par Marilza de Melo Foucher à l’occasion de l’anniversaire des 50
ans du coup d'Etat militaire au Brésil
Il est impossible de dissocier
ce brillant avocat brésilien de la conquête des droits démocratiques de la
République au Brésil. Il a été un combattant inlassable de l’état de droit,
ardent défenseur de cette jeune démocratie. Il a assuré tout au long de ces
années la défense des dirigeants politiques et syndicaux qui ont été
persécutés, emprisonnés, torturés et de beaucoup de disparus. Luiz Eduardo
Greenhalgh a participé à la fondation du comité Brésil Amnistie. Il a été
également l'un des coordinateurs du projet "Brasil Nunca Mais" pour
dénoncer tous les crimes commis pendant la dictature. Il a été adjoint au maire
de la ville de São Paulo (1989-1993) dans le gouvernement de Erundina Luiza de
Souza. Il a été pendant quatre mandats député fédéral de l'état de São Paulo.
1. A l’occasion de ces 50 ans du
coup d'Etat militaire, comment analysez-vous aujourd'hui le processus de
démocratisation au Brésil?
Je vois le processus de
démocratisation du Brésil comme très sinueux. Avec des progrès et des reculs.
Des progrès dans le développement social et des reculs dans la conscience
sociale de la population. Des exemples de ce recul: le résultat du référendum
sur le statut de désarmement, les propositions insistantes de réduire l'âge de
la responsabilité pénale et l'augmentation du nombre de citoyens favorables à
la peine de mort. L'impression que j'ai, en ce moment, est qu’il souffle sur le
Brésil un vent conservateur, voire réactionnaire.
2. Tout au long de ces années le
processus de démocratisation au Brésil a-t’il forgé un état de droit?
Le processus de démocratisation
que nous avons au Brésil a forgé un état de droit avec des institutions en
crise, avec pour résultat une distorsion de ces fonctions. Un exemple : Le
pouvoir judiciaire légifère sur des questions fondamentales, usurpant en
quelque sorte, la fonction constitutionnelle et normale du pouvoir législatif. Cela
se fait par des actions judiciaires en inconstitutionnalité. À mon avis, cette
inversion des rôles est en augmentation au Brésil, avec la politisation du judicaire
et la judiciarisation de la politique. En outre, l'exécutif a exacerbé les
obstacles juridiques qui finissent par éclipser ses actions et les rendre de
plus en plus dépendants d'arrangements avec le législatif et le judiciaire. Malgré
ces distorsions, nous construisons un Etat de droit avec l'augmentation de la
reconnaissance des droits des exclus, des femmes, des enfants, des Noirs, des Indiens,
des homosexuels, etc... . En ce sens, il y a effectivement, par le gouvernement
brésilien une plus grande préoccupation de la légitimité des droits de ces populations.
3. Votre biographie est liée à la
défense des disparus pendant la dictature militaire. Pourquoi aujourd'hui les
militaires ne permet-t’il pas l'accès à leurs archives?
En ce qui concerne la question
des personnes disparues il faut noter les particularités du processus brésilien.
En premier, l’amnistie qui a été conquise sous le régime militaire (28 Août 1979). Ainsi, si d'un côté
l'amnistie a été une conquête démocratique, résultat d'une lutte concrète des
secteurs actifs contre la dictature militaire (avocats, famille, journalistes, artistes,
intellectuels, étudiants,
travailleurs, religieux, etc.), D'autre part, le fait qu'elle ait été adoptée
pendant la durée du régime, a permis à l'armée la possibilité d'inclure dans la
loi d'amnistie un article a leur bénéfice, permettre l'amnistie de ceux qui ont
commis des crimes liés à des crimes politiques. Cela équivaut à une auto
Amnesty. Et ainsi échapper à la responsabilité des tortionnaires et des
assassins membres de l’appareil répression
militaro-policier du régime.
Cependant, comme nous le
savons, la disparition forcée de personnes est un crime permanent et ne cesse
que lorsque la personne est retrouvée ou son cadavre. Pendant ce temps aucune
prescription ne court. D'autre part, la torture est un crime imprescriptible
non susceptible d’amnistie, de grâce par la constitution fédérale elle-même.
Ainsi, il en résulte que les
responsables de la torture, des meurtres et des disparitions des persécutions
politiques pendant le régime militaire ne sont pas exemptés de poursuites
pénales et l’Union Fédérale de procédure civile, action déclaratoire et de
dommages-intérêts et indemnités.
C'est pourquoi les militaires s’efforcent de dissimuler des informations sur
leurs responsabilités dans cette période.
4. Pourquoi aucun évènement n’est organisé pour célébrer la
démocratie et réaffirmer: « la
dictature plus jamais » ! Aujourd'hui, nous assistons au retour en
force de l'aile droite réactionnaire occupant la rue par des manifestations.
Existe-t-il un risque de coup d'Etat au
Brésil?
Je pense qu'il n'y a pas un
événement national pour célébrer la démocratie brésilienne, car elle n'a pas
été conquise à un moment précis. Elle a été conquise progressivement.
Premièrement l’amnistie, suivie par l’assemblée nationale constituante, la réorganisation
du parti. Puis les élections directes jusqu'à permettre d'élire comme président
un ouvrier et une ancienne prisonnière politique. Malgré de mon point de vue
une avancée du conservatisme
réactionnaire au Brésil (d'ailleurs, phénomène également de plus en plus à
international), et même si il n’y a pas d’espace pour une célébration du type
« la dictature plus jamais » il n'y a pas d’espace, aujourd’hui, pour
un nouveau coup d'Etat militaire. Bien que la droite réactionnaire occupe l’espace
public avec ses manifestations. C'est inquiétant, mais je crois qu’en ce moment
la droite réactionnaire accumule des forces.
Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de risque de coup d'état au
Brésil. Il suffit de regarder l'histoire du Brésil pour voir que nous sommes
marqués par les coups d’états. Nous devons donc aller de l'avant avec un œil
sur les avancées démocratiques et un autre sur les dérives autoritaires
qui menacent la démocratie.
5. Quel message voudriez-vous
donner à la génération qui est né après 1964 ?
Le message que j’essaye de
passer à la génération post 64 est de ne pas oublier ce que nous avons vécu de
64 a 85.
Je suis impressionné par la
profonde méconnaissance de la dictature militaire par la nouvelle génération.
La méconnaissance peut souvent amener à des désengagements avec
l’histoire.
C’est pourquoi, je cherche
toujours à faire des conférences, où je rappelle des épisodes, critique la Loi
de Sécurité Nationale, je parle du mouvement pour l’amnistie, des témoignages
sur la torture, les meurtres et les disparus politique. Avec la conviction que
rappeler c’est vivre, vivre c’est apprendre et apprendre c’est ne pas
oublier.
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