Entretien avec l’ancien Ministre des Droits de l’Homme Paulo
de Tarso Vannuchi membre de la
Commission des Droits de l’Homme à OEA.
Marilza de Melo
Foucher
Paulo
Vannuchi est journaliste diplômé de l'École de Communication et des Arts
de l’Université de São Paulo
(USP) et a obtenu une maîtrise en
science politique de l'USP. Il a été ministre responsable du secrétariat d'État
aux droits de l'homme de la présidence de la république de décembre 2005 à
décembre 2010.
C’est un
homme politique qui a eu une participation active dans les mouvements de gauche
pendant le régime militaire. Il a travaillé à l’élaboration du livre
"Brasil Nunca Mais », coordonné par Dom Paulo Evaristo Arns - São
Paulo. Il intègre aujourd’hui la
direction de l'Institut Lula.
En Juin
2013, il a été élu à la
Commission interaméricaine des droits de l'homme de
l'Organisation des États Américains-OEA.
1.
Paulo Vannuchi comment analysez-vous cette date
anniversaire des 50 ans du coup d'Etat militaire?
Sans
aucun doute, c'est un moment de notre histoire où le pays aborde sans crainte,
ce qu’a été le coup d'État militaire de 1964 et les 21 ans de dictature. Dans
les premières années de la transition, une transition consentie, contrôlée par
le régime lui-même, la société brésilienne a adopté un comportement prudent ou
de peur, comme s’il pouvait se produire un retour en arrière.
Il était
nécessaire de tourner la page. La plupart des secteurs les plus intransigeants
de la lutte contre la dictature n’ont pas réuni les forces politiques pour
exiger une enquête pour condamner les violations des droits de l’homme qui ont
été systématiques, structurelles, et non le résultat de simples excès de
certains agents des forces de l'État.
Un
président civil a pris ses fonctions en 1985 et pendant les années qui ont
suivies, le Brésil a pris un chemin permettant la mise en place d'un État
démocratique de droit. La première élection présidentielle au suffrage
universel direct a eu lieu en 1989 et a émergé comme favoris les deux
principaux leaders de l'opposition à la dictature: Brizola et Lula.
Les
mêmes élites qui avaient très bien cohabité avec le régime dictatorial, ayant
le contrôle de puissants instruments de communication de masse, tels que le
réseau Globo, ont manœuvré pour mettre en place une solution désastreuse afin
d’empêcher une rupture de la transition.
Elles ont manifestement manipulé l'opinion publique pour élire Collor de Mello,
qui deux ans plus tard sera destitué après des scandales de corruption. A
commencé une nouvelle transition, sans la présence des militaires, avec
l’élection en 1995 de Fernando Henrique Cardoso, un opposant modéré au régime
dictatorial.
Sous son
gouvernement plusieurs étapes
importantes ont eu lieu. Le Brésil s’est rapproché du système international des
droits de l'homme, que ce soit des institutions spécialisées de l'ONU que de
l'OEA, s’obligeant à suivre les
directives et les décisions de ces systèmes. Les deux avancées législatives les
plus importantes du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso ont été la promulgation de loi 9.140, qui a créé une
Commission Spéciale sur les Morts et les Disparus Politiques, reconnaissant la
responsabilité de l'État avec une première liste de 136 opposants éliminés, et
la loi 10.559, constituant une Commission de
l’Amnistie pour prendre en charge les réparations financières.
Avec
Lula au gouvernement à partir de 2003
a également prévalu une approche prudente qui a généré
un désenchantement croissant des parents de victimes de la dictature et des
anciens prisonniers politiques qui attendaient beaucoup plus de la nouvelle
administration. La crise politique en
2005, dans laquelle les segments les plus à droite ont commencé à penser, à
nouveau, à un coup d'État a travers une destitution, a contraint Lula à
reporter de nouvelles initiatives dans ce domaine.
Mais à
partir de 2007, quand a été lancé en Août le livre Le Droit à la Mémoire et à la Vérité , préparé par le
Secrétariat spécial pour les droits de l'homme de la présidence de la République , une
décision prise par Lula lui-même, le sujet s’est complètement débloqué,
avançant de manière constante pendant ces sept dernières années. Un séminaire
au ministère de la Justice
a ouvert le débat sur la possibilité de sanctions contre les responsables
d'actes de torture, d’assassinats et de disparitions des opposants. Tant le
Secrétariat aux droits de l'homme que la Commission d'amnistie du ministère de la Justice ont commencé à
organiser régulièrement des séminaires, des expositions et inaugurations
de monuments et des signes symboliques d’hommage à ceux qui sont morts pour la
liberté.
La
justice, pouvoir républicain au Brésil (et comme dans d'autres pays) a eu une
attitude de soumission honteuse au pouvoir dictatorial, sauf dans de rares
exceptions honorables. Plusieurs
initiatives importantes ont eu lieu pour débloquer la situation. L'Ordre des
avocats du Brésil a déposé une action auprès de la Cour Suprême
pour déterminer que la loi d'amnistie de
1979 n'avait pas été reprise par la Constitution de 1988 et que les tortionnaires
n’étaient pas protégés par elle. En Avril 2010, à l'exception de deux voix
discordantes, les membres de la cour ont décidé, à l'encontre du droit
international des droits de l'homme, de l'impunité pénale de ces derniers. De
jeunes membres du ministère ont commencé à préparer des poursuites fondées, en
opposition avec la décision, et exigeant le châtiment de ceux qui ont torturé,
tué et permis la disparition des opposants à la dictature. En première
instance, la règle a été le refus par les juges de poursuivre l’instruction de
ces plaintes, mais il ya eu au moins un épisode dans lequel une cour d'appel a
décidé de les poursuivre.
Pour
autant la date des 50 ans du coup d'État
de 1964, avec la neutralisation de l’éthique quasi complète de tous les
défenseurs de la dictature militaire, permet de renforcer cet effort chez les
parents des morts et des disparus, comme
l'expérience de l'Argentine en montre la voie.
L'élément
le plus décisif dans la confiance retrouvée a été la création - tardive mais cohérente et prometteuse – de la
Commission nationale pour la vérité qui a été proposé au Brésil par la 11e
Conférence nationale sur les droits de l'homme en décembre 2008, quand a été
célébré le 60e anniversaire la déclaration universelle de l’ONU qui a approuvé
la base du programme national des droits de l’homme, que Lula signera un an
plus tard au travers d’un décret présidentiel.
Il s'en
est suivi une attaque impressionnante au programme orchestrée par les médias
conservateurs. Il en a résulté un large débat démocratique qui a mobilisé
directement plus de 14.000 personnes à travers tout le Brésil et a condamné la
proposition de ré-ouvrir des plaies déjà cicatrisées, mais qui a astucieusement
choisi comme cible d'autres objectifs universels des droits de l'homme, faisant
appel aux sentiments les plus conservateurs de la société: défense des droits
des homosexuels, des droits des femmes sur leur santé sexuelle et reproductive,
le caractère laïque de l'enseignement public, la médiation auprès des conflits
en milieu rural afin de ne pas plus reproduire les épisodes comme Chico Mendes,
Dorothy Stang et des centaines d'autres.
L’attaque
conservatrice surmontée, le 13 mai 2010
le président Lula a présenté au Congrès le projet de création de la Commission
Nationale de la Vérité ,
il incombait ainsi à l'actuel président
de la République ,
lui-même un militant de la résistance armée à la dictature, torturé dans sa
jeunesse à 23 ans, d’installer cette commission lors d’une cérémonie qui a
rassemblé au palais présidentiel, pour la première fois dans l'histoire du
Brésil, tous les présidents de la
République encore en vie.
Cette
année en décembre, probablement le même jour le 10, qui célèbre l'adoption de la Déclaration
universelle des droits de l'homme des Nations Unies en 1948, le rapport final de
ce comité sera publié. Sa naissance a donné lieu à un phénomène sans précédent
dans d'autres pays: ont été créés près de 100 Commissions de la Vérité dans tous les États,
de commissions proposées par les gouverneurs des États, à celles proposées à
l’initiative des assemblées législatives et les conseils municipaux. Par
ailleurs, des syndicats, des universités, des segments professionnels comme les
avocats, les psychologues et journalistes ont mis en place leurs propres
commissions, afin d'agir de manière complémentaire à celui de la Commission Nationale.
Le grand
espoir est que l'impact de ce rapport permettra d’affaiblir davantage les
secteurs hostiles au rétablissement de la vérité, ce qui obligera la Cour suprême à revoir sa
décision désastreuse de 2010 et ainsi permettre que notre passé soit connu et
divulgué. La société en sera renforcée afin que ne se répète plus la violence
de cette période.
2.
Comment analysez-vous aujourd’hui le processus de
démocratisation du Brésil? Quelles sont les plus grandes avancées de cette
conquête? Le processus de démocratisation au Brésil a-t-il forgé au fil des ans
un état de droit?
Non
seulement le Brésil a construit un Etat démocratique robuste depuis la
promulgation de la
Constitution de 1988, mais son développement institutionnel
commence à être une référence mondiale pour le progrès que d'autres pays n’ont
atteint. Les trois pouvoirs agissent en toute indépendance et sans allégeance à
une autorité centrale, comme en témoigne la récente condamnation par du
tribunal suprême des dirigeants politiques du gouvernement Lula. La presse a un
niveau de liberté qui lui permet même de laisser en arrière-plan tous les
principes du bon journalisme et agit comme de véritables organes politiques qui
attaquent systématiquement toutes les initiatives de Lula et Dilma.
Un
élément important dans le renforcement des institutions démocratiques du Brésil
est la généralisation de conférences nationales pour discuter ouvertement de
toutes les politiques publiques fédérales dans les divers secteurs du
gouvernement: droits de l'homme, égalité raciale, politique pour les femmes,
pour la culture, pour l'éducation, de la santé, du développement agricole , du
logement, de l'environnement, de la science et de la technologie, etc…
A
travers des conférences municipales, régionales, nationales, des milliers
d'hommes et de femmes sont appelés à discuter de ce que devrait être la
politique publique, montrant ainsi que la démocratie ne se limite pas à
l'exercice du droit de vote lors des élections régulières. Elle appelle les
citoyens à une participation permanente dans la formulation de propositions et
de dénonciation de ce qui est incorrect ou insuffisant. A titre d'exemple, la Conférence nationale
sur la sécurité publique, l'un des problèmes les plus épineux auquel est
confronté aujourd'hui le Brésil, avec la participation, directement et
indirectement, de 500 000 personnes environ. Pour la première fois, tous les
segments : police, autorités judiciaires, experts et militants de la
société civile, y compris les parents des jeunes qui ont été assassinés (la
cible privilégiée de la police dans les grandes villes), se sont réunis pendant
des semaines et des mois pour formuler la ligne générale de nouvelles
politiques publiques dans ce domaine.
Cependant,
il ne faut pas oublier que si le Brésil affiche actuellement un niveau enviable
de solidité de ces instances républicaines et démocratiques il est impossible
d'oublier que la pierre angulaire de la construction de la démocratie est
l'égalité. Ainsi, il est clair que les cinq siècles de domination politique
répressive (esclavagiste pendant trois siècles et demi) et exclusive ne peuvent
pas être surmontés en seulement 10 années de reconstruction (Lula et Dilma,
axés sur l'inclusion sociale) ou 25 ans
si nous prenons comme point de repère la Constitution de 1988.
3.
Pourriez-vous résumer en quelques mots votre travail à
l'OEA et quels sont vos principaux défis?
J'ai été
élu en Juin 2013 par l'Assemblée générale de l'Organisation des Etats
d’Amériques (OEA) pour un mandat de
quatre ans au sein de la
Commission interaméricaine des droits de l'homme. Ce comité
dont le siège est à Washington, se compose de sept personnes liées à la lutte
pour les droits de l'homme et a été fondée en 1959.
Dix ans
plus tard, a été approuvé par l'Assemblée générale de l’OEA la Convention américaine
des droits de l'homme, également connu sous le nom de Pacte de São José du Costa Rica, qui sert comme chartre
constitutionnelle que nous appelons le système interaméricain des droits de
l’homme. Ce système est constitué de trois piliers: la Convention , la Commission que j’ai
intégrée et la Cour
interaméricaine des droits de l'homme.
Le
système est reconnu comme le plus avancé de tous les systèmes régionaux
(européen, africain, etc). Ainsi pour certains droits et possibilités de
recours que les Nations Unies ne peuvent pas assurer à
partir de leurs organisations basées à Genève.
Selon la
convention américaine, toute personne des Amériques et des Caraïbes peut
soumettre une pétition à la commission basée à Washington pour dénoncer la
violation des principes de la convention par son État national (droit à la
vie, torture, système pénitencier, les
droits des enfants, l'indépendance du pouvoir judiciaire, les disparitions
forcées, etc)
La
commission examine des centaines voire des milliers de pétitions qui lui sont
présentées pour confirmer si elles correspondent à des violations des principes
de la convention, une fois qu’ont été
épuisés les recours internes qui doivent toujours être utilisé dans d'une
solution avant de recourir au système régional.
Elle
consulte l’État, dialogue avec les pétitionnaires et propose une solution à
l’amiable, fait des recommandations aux États, et dans les cas plus complexes,
transmet l'affaire à la cour, qui est basé au Costa Rica.
L'un des
rôles les plus importants de la Commission tout au long de ses 55 années
d'existence a été le traitement des violations commises par les régimes
dictatoriaux dans les années 1960 et 1970. Dans le cas de l'Argentine en
particulier, la visite que la commission a réalisée dans le pays en 1979, la
troisième année du régime de Videla, a marqué une étape importante dans
l’affaiblissement du pouvoir dictatorial et le début de sa désintégration.
Dans le
cas du Brésil, l'une des attentes les plus fortes de ceux qui se battent pour perpétuer l'impunité des
tortionnaires est la pression sur le système judiciaire national pour se plier
à l'arrêt rendu par la cour en 2010. Après près de deux décennies de
négociation, exigeant que l'État brésilien recherche et retrouve les corps des guérilleros tués
dans la guérilla Araguaia, que toutes les archives militaires soient rendus
publics, que se finalisent les mesures de réparation déjà en cours dans le
pays, et en particulier que la loi d'amnistie de 1979, soit considérée une loi
illégitime d'autoamnistie, et ne représente pas un obstacle à la recherche et
la condamnation de tous ceux qui ont torturé, assassiné, et fait disparaître
les cadavres.
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