Brésil : 50 ans pour ne jamais oublier la
dictature
Marilza de Melo
Foucher
En 2014 cela fera 50 ans que la
dictature militaire prenait le pouvoir au Brésil. Et nous fêterons en mars la victoire de la démocratie au Brésil, pour
dire haut et fort « dictature nunca mais » « dictature plus
jamais » !
Vous imaginez qu’il a fallu presque 28
ans (après la « transition démocratique ») pour que la Commission
nationale de la vérité (CNV) chargée de faire la lumière sur les exactions
commises pendant les années de plomb puisse voir le jour ! Jusqu’à récemment, on ne pouvait pas évoquer
cette période avec les jeunes, comme si
la peur avait traversé les générations. Malheureusement cette partie de notre
histoire politique reste un tabou.
C’est une
histoire mal racontée dans les manuels scolaires. La jeune génération qui a
vécue sous la dictature et ceux qui sont
nés à partir de 1964 vont apprendre que les principes de base de l'enseignement de l'éducation morale et
civique sont : l'ordre, la sécurité, l'intégration nationale, le culte de
la patrie. Le slogan Brésil était : tu l’aimes ou tu le quittes.
Ces symboles mettaient en valeur un
patriotisme exagéré, étaient destinés à permettre une fusion de la pensée
réactionnaire, conservatrice et catholique. La doctrine de la sécurité
nationale était alors le pilier pour combattre la menace communiste.
Les
militaires brésiliens n’aimaient pas l’utilisation du mot dictature, et ce sera
à travers une immense propagande de tous les moyens de communication,
principalement, avec l’appui du réseau de télévision Globe, qu’ils vont réussir
à forger une image positive du coup d’état auprès de l’opinion publique
brésilienne. Le propriétaire du réseau « rede Globo » Roberto Marinho
déclarait :
«Nous avons
participé à la Révolution de 1964, nous nous sommes identifiés aux aspirations
nationales de préservation des institutions démocratiques menacées par la
radicalisation idéologique, les grèves, les troubles sociaux et la corruption
généralisée. Quand notre rédaction a été envahie par les forces
antirévolutionnaires, nous sommes restés fermes dans notre position. Nous
continuons à soutenir le mouvement victorieux dès les premiers instants de la
prise du pouvoir jusqu’au processus d'ouverture en cours, qui devrait se
consolider avec la nomination du nouveau président ". " (1).
Voilà
comment la dictature entre dans l’imaginaire du peuple brésilien comme une
sorte de pseudo-démocratie salvatrice de la patrie ! Jusqu’à aujourd’hui une bonne partie
des forces armées crient au scandale dès que l’on parle de la dictature. Ils
comptent toujours avec l’appui des secteurs conservateurs, de segments de la
droite et de la grande presse qui fêtent le 31 mars 1964 comme la date la
« glorieuse révolution ».
Ils font tout pour essayer d’effacer ce
passé et faire oublier cette période sombre de l’histoire politique brésilienne
au nom, selon eux, de l’harmonie nationale. Effacer la mémoire des crimes
commis par la dictature c’est effacer la mémoire des luttes menées contre elle.
Pour cela les documentaires jouent un rôle fondamental, principalement pour la
jeunesse brésilienne qui n’a jamais pu avoir des éléments de réflexion sur
cette période.
Certains films documentaires arrivent
pour combler le vide laissé par l’absence d’une historiographie politique
et par
l’amnésie imposée par ces années obscures. Faire connaître la vérité à
la société sur les violations des droits de l’homme, sur les formes de
résistance à la dictature est aussi une contribution à la construction de la
mémoire politique.
Effacer de la mémoire ce passé traumatisant
c'est vouloir empêcher que la société puisse connaitre la vérité sur la
violence politique imposée par la dictature.
La génération qui a lutté pour la démocratie au Brésil a été traitée
lors de la dernière campagne présidentielle comme des terroristes. L’actuel
présidente Dilma Rousself a vu sa tête affichée
dans la revue Veja, Epoca et plusieurs sites en tant qu’une dangereuse
terroriste. Pendant les manifestations de juin/juillet de cette année dans les principales villes brésiliennes on a
pu assister au retour des nostalgiques de la dictature et entendre des mots
d’ordres adressés à la jeunesse l’incitant à chasser les partis politiques…
Le Brésil est toujours dans un
processus de maturité de sa démocratie.
Le processus de démocratisation du pays a été très lent. L’amnistie
concédée par les militaires a été un accord négocié, un accord très ambigu,
puisqu’il supposait un sentiment d’amnistie réciproque. Sous le terme
« amnistie » a été réunis sur
un pied d’égalité victimes et bourreaux. Cela traduisait le poids des
différents secteurs et des classes sociales dominantes à l’époque où l’état des
forces été plutôt favorable aux défenseurs de la dictature. De tel sorte que
toute cette période obscure, tragique de notre histoire politique est restée un
tabou. Il est temps de construire une
mémoire qui s'oppose à la mémoire officielle et défendre les valeurs
démocratiques.
La Commission de la Vérité est une
étape importante, mais il faut maintenir la pression pour modifier la loi
d'amnistie et déterminer qui est responsable.
La commission par exemple,
peut interroger, certes, les anciens tortionnaires, mais elle n’arrivera à rien
tant que l’armée refusera d’ouvrir ses archives.
Pour cela la lutte pour la démocratie
au Brésil n’est pas finie et exige toujours de la vigilance car malheureusement
il existe encore au Brésil des nombreux nostalgiques de ce période.
La mise en place de la commission de
la vérité va permettre de réunir plusieurs morceaux de l’histoire vécue par les
femmes et les hommes qui ont lutté pour la démocratisation du Brésil. Ainsi raconter l'histoire d'une période qui a
porté atteinte à toute forme
d’expression culturelle et de liberté d’expression. Ce terrorisme culturel n’a
pas empêché la résistance artistique et des journalistes à braver la censure en
utilisation des métaphores et des messages déguisés. La musique et le théâtre
ont eu une incroyable production dans les années de plomb. Les artistes ont
réussi a contourné la censure mais n’ont pas pu rester dans leur pays, la
dictature a expulsé et forcé plusieurs artistes à s’exiler. A la fin des années
70 il y a eu un immense appauvrissement culturel. Quant aux journalistes qui
ont défié la dictature, ils ont laissé à la nouvelle génération une
leçon : cela vaut la peine de lutter pour la liberté d’expression !
Que le journalisme de qualité suppose la liberté d'expression et la diversité
des sources, des thèmes et du contenu, afin que la société puisse être informée
de la façon la plus large possible et
participer à la vie du pays.
Toute cette histoire de la résistance
à la dictature militaire au Brésil est restée reléguée au sous-sol de
l'histoire. Une seule vérité s’était imposée à la jeunesse brésilienne. Le pire
a été le silence des institutions brésiliennes, mais aussi de la société,
pendent la post-dictature. Le comportement des démocrates de ne pas affronter
les crimes du passé est choquant, a écrit Edson Teles « Politicas do silêncio-A
memoria do Brasil pos-ditadura » (1)
Il faut aussi rendre hommage aux
mouvements sociaux, aux organisations populaires qui ont beaucoup contribué au
processus de démocratisation au Brésil. Sous la protection des secteurs les
plus progressistes des Églises (Catholique et Protestante) et avec l’appui de
la solidarité internationale, ses organisations sociales poursuivent leur
travail d’éducation et de culture. L’absence de démocratie n’a pas empêché
l’organisation de la résistance. Ces mouvements vont rejeter la version
officielle de la pseudo-démocratie. à travers
l’éducation populaire, les adeptes de Paulo Freire ont développé une
méthodologie de la résistance dans les coins perdus de cet immense territoire.
Malgré la répression, qui se poursuit pendant toute la période de la dictature,
« la pédagogie de l’opprimé » (Paulo Freire) continue
son œuvre dans la clandestinité, dans les favelas, dans les quartiers
populaires. Avec le souci de se laisser éduquer mutuellement, de socialiser le
savoir-faire de chacun au bénéfice d’un projet collectif de transformation.
Dans les années 80 apparaissent de nouveaux mouvements (le Mouvement des Sans Terre)
et des ONG de développement se restructurent. Dans un premier temps un peu
dispersés, et souvent très fragiles, ils mènent le combat pour la
démocratisation et la formation de la citoyenneté.
Il faut souligner que un des combats
le plus significatifs de cette période de transition démocratique au Brésil a
été la proposition pour une nouvelle Constitution au Brésil, qui fête cette
année ses 25 ans. Toutes ces organisations ont joué un rôle très important car
elles ont réussi à mener à bien une
grande mobilisation nationale et ont présenté plus de 3000 propositions issues
de la nouvelle société civile qui était en train d’émerger au Brésil.
La promulgation de la Constitution de
1988 sera sans aucun doute une étape historique pour la démocratisation du
pays, elle va élargir les droits individuels et renforcer la démocratie au
Brésil. En 1989 ce seront les premières élections directes pour la présidence
depuis 1960, et pour la première fois cette génération va exercer sa
citoyenneté.
Toutefois dans la jeune démocratie brésilienne
il faut continuer à se battre pour imprimer une nouvelle culture démocratique
fondée sur la citoyenneté active, car si la démocratie est tributaire du
citoyen, alors la participation collective et le dialogue sont indispensables.
(1)— Roberto
Marinho, no jornal O Globo, edição n° 1.596, 7 de outubro de 1984.
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